Pour plusieurs, le nom Commodore évoque une époque fondatrice de l’informatique personnelle. Pour moi, il évoque surtout un Noël de 1985. J’avais reçu un Vic-20 usagé, déjà dépassé à l’époque. Cet ordinateur rudimentaire a pourtant marqué le début de ma carrière. C’est sur ce clavier jauni que j’ai appris la logique, les erreurs, et surtout la curiosité qui pousse à comprendre comment les choses fonctionnent.
Cette première étincelle est probablement la même qui anime encore aujourd’hui ceux qui ont relancé Commodore. Car près de quarante ans plus tard, cette marque mythique, symbole d’une technologie accessible et humaine, renaît d’une façon que personne n’aurait pu prévoir.
Et cette fois, l’histoire commence non pas dans une salle de conférence, mais dans une simple blague publiée sur Facebook.

Une idée née d’une boutade
En 2022, Perry Fractic, créateur de la chaîne YouTube Retro Recipes, a lancé sur un groupe Facebook une plaisanterie : « Et si on achetait Commodore ? ». L’idée, anodine au départ, a provoqué une réaction fulgurante. Des milliers de messages enthousiastes ont suivi, transformant la blague en véritable appel à l’action. Ce moment a démontré la force des communautés numériques, capables de convertir la nostalgie en engagement concret et même en capital.

Une vidéo virale qui change tout
Quelques mois plus tard, Fractic publie une vidéo sur le Commodore 64X PC, un ordinateur rétro conçu par My Retro Computer Limited, dirigée par Shawn Donahghue. La vidéo devient virale et atteint près d’un million de vues. Le fabricant, alors endetté, parvient à se redresser, tandis que les propriétaires de la marque Commodore prennent conscience du potentiel de relance. Ce moment marque un tournant : pour la première fois depuis des décennies, l’intérêt pour Commodore est ravivé par la communauté, non par le marché.
D’une licence à une acquisition complète
Au départ, l’équipe de Fractic souhaitait seulement obtenir une licence exclusive pour exploiter la marque Commodore. L’objectif était de démocratiser son usage et de permettre à d’autres créateurs d’y contribuer. Mais la proposition, jugée honnête et réfléchie, a eu un effet inattendu. Les propriétaires de l’époque, impressionnés par la vision présentée, ont proposé de vendre l’ensemble de l’entreprise. L’équipe a alors procédé à l’acquisition complète de Commodore Corporation BV et de ses quarante-sept marques de commerce encore actives.
Une marque au bord de l’oubli
Cette transaction est survenue à un moment critique. Les propriétaires tentaient depuis des années de vendre la marque sans succès. Sans repreneur, plusieurs brevets risquaient d’expirer, ce qui aurait entraîné la dispersion de l’héritage Commodore. Cette reprise n’a donc pas seulement permis un retour commercial, mais aussi sauvé une partie importante de l’histoire de l’informatique personnelle.

Un retour porté par les figures originales
Parmi les artisans de cette renaissance, on retrouve plusieurs visages familiers. Bill Herd, concepteur du Commodore 128, Michael Tomchek, responsable du VIC-20, et David Pleasants, ancien directeur général de Commodore UK, font partie de ceux qui ont repris du service. Le fils du fondateur, Leonard Tramiel, s’est aussi joint à l’équipe à titre symbolique de Chief Tramiel Officer. Sa présence apporte une légitimité que l’on ne peut pas acheter. Ces anciens ne se contentent pas de prêter leur nom, ils incarnent la mémoire vivante d’une époque où l’informatique se construisait par passion et par curiosité.
Le Commodore 64 Ultimate
Pour concrétiser cette vision, Commodore a lancé le Commodore 64 Ultimate, un ordinateur qui reprend l’esprit du modèle original tout en y intégrant des innovations d’aujourd’hui. Ce n’est pas un émulateur ni un simple PC. Il s’agit d’une reproduction matérielle fidèle, conçue autour d’un circuit FPGA qui recrée le comportement exact de la carte mère du Commodore 64 d’époque.

Le design du C64U s’appuie sur le travail de Gideon Zitzer, créateur du projet Ultimate 64, dont la carte a servi de base à la nouvelle version. Le résultat est un ordinateur capable de faire tourner plus de dix mille jeux et périphériques rétro, tout en ajoutant des fonctions inédites. La machine comprend une mémoire vive élargie, un mode turbo à 48 MHz et huit puces SID recréées qui permettent un son à vingt-quatre canaux. Le boîtier intègre un éclairage DEL réactif au son et un clavier transparent, une première mondiale.

Le C64U permet aussi le transfert de jeux par Wi-Fi et est livré avec une cassette USB contenant une sélection de jeux classiques et de nouveautés créées par la communauté. Il inclut également la suite logicielle GEOS, avec les applications GeoWrite et GeoPaint, qui rappellent les débuts de l’informatique personnelle à la maison.


La production est assurée dans des usines à Shenzhen, en Chine. Les premières unités doivent être livrées avant la fin de l’année. Dès son annonce, l’engouement a été immédiat. En une seule semaine, Commodore a généré environ deux millions de dollars en revenus, surtout grâce aux précommandes du modèle Ultimate. L’édition spéciale Gold Founders Edition s’est épuisée en quelques jours, confirmant la vitalité d’une marque qu’on croyait disparue depuis trois décennies.
Un héritage toujours vivant
Ce retour ne se résume pas à un succès commercial. Il témoigne d’une fidélité rare entre une marque et sa communauté. L’équipe dirigeante, qui ne tire pour l’instant aucun salaire, a financé la relance à même des prêts personnels et des ventes anticipées. Leur motivation repose sur la passion et la conviction qu’il est encore possible de concevoir une technologie qui inspire.
Le Commodore 64 original détient toujours le record Guinness du micro-ordinateur le plus vendu de l’histoire. Quarante ans plus tard, le C64U perpétue cet héritage en rappelant qu’un ordinateur peut être à la fois un outil d’apprentissage, de créativité et de plaisir. Ce retour symbolise la persistance d’une idée simple : la technologie peut rester humaine, accessible et porteuse d’espoir.
Je ne sais pas si ce projet connaîtra un succès commercial suffisant pour s’imposer durablement, mais une chose est certaine, ses artisans carburent à la passion. Et à mes yeux, c’est déjà une victoire. Pour ma part, je préfère nettement la version classique beige à la version translucide, peut-être parce qu’elle me ramène à ce Vic-20 jauni qui, un jour de 1985, a changé ma vie.
Disponible sur le site de Commodore à partir de 500$ canadiens !